Depuis 2010, la Commission européenne s’interroge sur la nécessité d’améliorer la protection des entreprises innovantes en Europe.
Une proposition de Directive du 28 novembre 2013 n°2013/0402 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites a été adoptée en ce sens.
Le constat est unanime : le secret en Europe est insuffisamment protégé et les entreprises innovantes, c’est-à-dire qui disposent d’un savoir-faire à forte valeur ajoutée, sont aux prises d’une appropriation illicite croissante de ce savoir-faire.
Les outils judiciaires ne sont pas adaptés pour se protéger mais aussi pour réagir aux atteintes multiples faites à ce savoir-faire.
Les exemples d’utilisation, de divulgation ou d’appropriation illicites sont nombreux ; que ce soit le fait d’anciens salariés d’une entreprise embauchés par un concurrent ou encore par des partenaires commerciaux peu scrupuleux.
Les difficultés de protection sont exacerbées compte tenu de l’internationalisation et de la dématérialisation des échanges et des rapports commerciaux.
Il ressort des études menées au niveau européen que peu d’Etats membres de l’Union européenne, dont la France, définissent précisément la notion de « secret des affaires » ou de « savoir-faire ».
Les modalités de réparation d’une atteinte portée à ce secret ne sont en outre pas homogènes.
Par ailleurs, le secret des affaires est faiblement protégé dans le cadre des procédures judiciaires tant au regard du principe de publicité de ces procédures que du principe du contradictoire entre les parties et de la preuve.
La proposition de Directive (article 2) a le mérite de donner une définition du secret des affaires inspirée des accords ADPIC[1]. Pour être qualifiées de « secret des affaires », les informations doivent répondre à plusieurs conditions cumulatives :
- Elles sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues de personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles ;
- Elles ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes ;
- Elles ont fait l’objet, de la part de la personne qui en a licitement le contrôle, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes.
La proposition de Directive (article 3) donne en outre une liste de comportements illicites qui ne se résument pas à la divulgation de l’information mais s’étend à l’obtention et à l’utilisation de cette information.
A noter que l’article 8 invite également les Etats membres à mettre en place lors des procédures judiciaires des mesures visant à éviter l’utilisation ou la divulgation du secret, objet de la procédure, en permettant un accès restreint à ces informations entre les parties ou encore en restreignant l’accès aux audiences publiques.
La question de la publicité d’une décision judiciaire sanctionnant une atteinte illicite au secret des affaires est également abordée, puisqu’il est proposé de mettre à disposition du public une version non confidentielle de la décision dans laquelle les passages contenant des secrets d’affaires ont été supprimés (article 8-2-c).
Enfin, des mesures civiles sont proposées, à titre provisoire ou définitif, telles que la cessation, l’interdiction de l’utilisation, la saisie, la remise des produits de l’infraction, l’adoption de « mesures correctives » en ce qui concernent les produits de l’infraction, outre l’octroi de dommages intérêts à la partie lésée.
Il est précisé que pour fixer le montant des dommages-intérêts, les autorités judiciaires prennent en considération tous les aspects appropriés tels que
- les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée,
- les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et,
- le cas échéant le préjudice moral causé au détenteur du secret.
La France a très vite emboîté le pas de la Commission par une proposition de loi du 16 janvier 2014 relative à la protection du secret des affaires, les articles relatifs au secret des affaires seront insérés dans le Code de commerce.
On remarquera que la proposition de la loi française précise qu’à titre de réparation civile, il pourra être accordé à la victime de l’atteinte des dommages et intérêts, « ceux-ci compensant les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner et la perte, ainsi que le préjudice moral.
« En cas de bénéfices indûment réalisés par le contrevenant ou d’économies d’investissement dont les montants sont supérieurs au manque à gagner et au préjudice moral, le tribunal détermine les dommages et intérêts en considération de ces économies ou bénéfices, dans la limite de leur montant. » Doit-on y voir une appréciation plus limitée du montant de la réparation accordée et donc un effet dissuasif limité de la future loi française?
Quoiqu’il en soit, si une grande partie des actifs immatériels des entreprises innovantes bénéficie d’une protection au titre du droit de la propriété intellectuelle (utilisé de manière adéquate et stratégique), il n’en demeure pas moins que le savoir-faire ou le secret des affaires qui parfois ont une valeur ajoutée bien supérieure aux droits de propriété intellectuelle méritent un renforcement sans tarder de leur protection.
Dans l’attente d’un renforcement législatif de la protection du secret des affaires et du savoir-faire, des réflexes nécessaires et adaptés à chaque situation sont à adopter par le biais notamment de la rédaction d’accords de confidentialité et de non divulgation, de chartes ou encore d’établissement de degré de confidentialité des documents internes à l’entreprise.
[1] Article 39-2 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce du 1er janvier 1995.